Janvier 2019 - Alfonso Canovas Garcia (1924 - 2019) - Emigré Espagnol, Résident Français et membre des forces spéciales Anglaises

Publié le par JB

En ce mois de Janvier 2019, nous apprenions le décès de Alfonso Canovas Garcia, connu comme le"Sergent Français" de la mission interalliée  Aube, parachutée en Ariège en Août 1944. Il nous est difficile de parler seulement de Alfonso sans parler de ses parents et de sa fratrie, d'une part pour une meilleure compréhension du contexte de cette époque troublée et d'autre part parce que cette famille d'émigrés Espagnols a eu un destin peu commun et par maints aspects, remarquable.

Alfonso était fils de Antonia Garcia Navarro et Antonio Canovas Alonzo, émigrés économiques en 1928 à Pamiers (Ariège) et originaires de la province d'Alméria. Dans ces années-là, au début du XXème siècle, en Espagne, les conditions d'emploi des travailleurs, ouvriers et paysans, sont d'un autre temps, proches de l'esclavage, c'est donc pour vivre dignement de son travail que cette famille émigra en France.

En 1936, la Guerre d'Espagne (1) éclate, le père part défendre la République Espagnole (2), toute sa famille retournera là-bas avec lui, ils s'installeront à Manresa, en Catalogne. Alfonso a un frère et une soeur, son frère Antonio est l'ainé et a deux ans et demi de plus que lui, à 14 ans et demi, il part volontaire pour le front d'Aragon et dans la foulée connaît le baptême du feu. Convoqué par son commandant, vu son jeune âge, il devient agent de liaison et assure également le ravitaillement de son unité. Il travaillera par la suite dans une usine d'armement. A la fin de la Guerre d'Espagne, toute la famille retourne en France et rejoint la grand-mère et la famille restée à Pamiers. Le père fut interné quelques mois au camp du Vernet, puis laissé en liberté surveillée comme les autres membres de la famille. En 1943, étant menacé, il retournera en Espagne où il sera immédiatement emprisonné et rentrera en France dans les années d'après-guerre.

Le fils aîné, Antonio, Vétéran de la Guerre d'Espagne, est dénoncé en juillet 1942 et arrêté. De prisons en camps (Noé, Vernet...), il est finalement déporté en Allemagne comme prisonnier politique au camp de Willemzagen d'où il s'évadera une première fois avec des amis Espagnols. Voyageant sur un tampon de wagon, ils arrivent tous à Munich où ils sont repris et d'où ils s'évadent une deuxième fois. Antonio et ses camarades arrivent finalement en Suisse où ils reçoivent enfin de l'aide, Antonio ne pèse plus alors que 40 kgs... En juin 1945, après plusieurs mois passés en Suisse, les conventions internationales prévoyaient qu'en tant qu'Espagnol, il devait être rapatrié... en Espagne ! Donc, troisième évasion, depuis la Suisse cette fois et passage en France pour éviter d'être livré aux franquistes. Prisonnier de guerre, évadé, Antonio n'obtiendra pourtant la nationalité Française qu'en 1981 après une vie de travail.

Alfonso, comme tous les siens avait repris une activité professionnelle dès son retour en France. En 1943, il travaillait à Lourdes et décida cette année-là de repartir en Espagne, à Barcelone où résidait un oncle qui l'hébergea quelque temps. Son objectif était de rejoindre les Alliés en Afrique du Nord. Apprenant que les Anglais et les Américains acceptaient des Français dans leurs unités, il se rendit donc au Consulat d'Angleterre, déclarant qu'il était Français. Quelques semaines après, il obtint les papiers nécessaires et gagna le sud de l'Espagne en train avec 3 camarades Espagnols, direction Gibraltar. La partie finale du trajet se fit par la mer avec une barque. Finalement accueillis par les Anglais et après un séjour de quelques semaines, un bateau les amena de Gibraltar à Casablanca. Alfonso se retrouva dans un premier temps dans une unité de tanks de la Division Leclerc, il n'y resta pas longtemps, optant pour l'engagement dans les troupes Anglaises, avec une dizaine de camarades, il rejoignit un camp de commandos(3) parachutistes en relation avec la Résistance Française. La formation durera plusieurs mois et aura été très dure, à l'issue, Alfonso est à 22 ans membre du Pioneer Corps Anglais et porte le grade de Sergent. C'est dans ce contexte qu'il rencontra le Lieutenant Bigeard qui lui demanda : Tu connais l'Ariège, toi ?   Bien sûr !  Alors, tu viendras avec moi !

Le 8 Août 1944, c'est à bord d'un avion Anglais que la mission Aube (4) décolle de l'aérodrome d'Alger Maison Blanche, direction l'Ariège où le groupe sera parachuté dans la nuit (5) Leur mission, encadrer les maquis locaux, leur fournir matériel et armement (6), le tout dans le cadre de la libération imminente du département. Le groupe est réceptionné par la Brigade de Guérilleros de l'Ariège. A l'atterrissage, Alfonso retrouve deux Résistants qui avaient été auparavant des camarades de travail. Ils furent ensuite logés dans des fermes où était installé le maquis Guérillero. Un soir, Alfonso participe avec un groupe de Guérilleros à la libération d'une dizaine d'Espagnols emprisonnés à Foix. Pour la libération de Foix, le 19 Août 1944, le groupe qu'il commandait a traversé l'Ariège pour attaquer la ville par derrière, tirant au fusil mitrailleur contre les défenseurs du pont, ils tuèrent les servants d'une mitrailleuse. Après des combats de rues, la grande bagarre s'est déroulée près du lycée où s'étaient retranchés les allemands, les Guérilleros les pilonnent au mortier. C'est dans ce secteur que Alfonso  reçoit une balle à la jambe, il sera traité le jour-même. Ce 19 Août 1944, la garnison allemande se rend à la mission Aube. Deux bataillons de Guérilleros, soit environ 200 hommes participèrent aux combats de la libération de Foix, en fait ce jour-là, plusieurs maquis furent mobilisés, tant pour l'assaut principal et les combats de rue, que pour le verrouillage des accès à la ville (routes, chemin de fer). Pour Alfonso, c'est le départ vers Avignon, puis Paris, il est ensuite rappelé à Londres toujours sous l'uniforme Anglais. En 1945, il devait partir pour une mission spéciale au Japon qui a été annulée, ce pays ayant capitulé entre temps.

Et c'est ainsi que, rendu à la vie civile, l'ex émigré Espagnol, ex résident Français, Vétéran de la 2ème Guerre Mondiale, naturalisé Anglais est devenu un citoyen de sa gracieuse majesté. Il a fondé une famille et a vécu outre Manche jusqu'à la fin de ses jours.

 

(1) qui ne fut pas que civile.

(2) une quinzaine de parents et amis, immigrés Espagnols de leur entourage proche eurent la même attitude volontaire que le père d'Alfonso et partirent se battre pour la République Espagnole.

(3) ces unités de troupes spéciales ont été crées dans les années 40 au Royaume Uni sous l'égide de Winston Churchill.

(4) Liste des membres de la mission Aube: Commandant "Aube" Marcel Bigeard, délégué militaire de l'Ariège, Français, 28 ans, Major Bill Probert alias "Krypte", Anglais, 30 ans, Lieutenant Goffin, Anglais, Lieutenant radio John Deller alias "Hibou", Canadien, 28 ans, Sous-Lieutenant radio Grangeaud alias "Rale", Français, Sergent interprète Alphonse Canovas alias "Sergent Wilson", Espagnol de Pamiers, 22 ans.

(5) le nom de code du terrain est "pamplemousse", il est situé sur la commune de Rieucros.

(6) Entre le parachutage (8 Août 1944) et l'attaque de Foix (19 Août 1944), il y eût 72 parachutages d'armes et de matériel aux maquis Ariégeois. (relevé p 73 - article du journal des Guérilleros "Libéracion")

 

 

Article extrait du livre de Monique Guinchard : "Famille Navarro, ils étaient des émigrés", publié avec l'aimable autorisation de l'auteur. Avec tous nos remerciements.

Certificat d'identité Anglais de Alfonso

Certificat d'identité Anglais de Alfonso

Antonio et Alfonso, à Saverdun,  lors des cérémonies du 60ème anniversaire de la libération

Antonio et Alfonso, à Saverdun, lors des cérémonies du 60ème anniversaire de la libération

Photo de la page de couverture du livre de Monique Guinchard qui a servi à l'édition de cet article

Photo de la page de couverture du livre de Monique Guinchard qui a servi à l'édition de cet article

                                                  A PROPOS

 Cet ouvrage a nécessité six années de recherches et a été édité en 2011 à environ 200 exemplaires à compte d'auteur. Le parcours de Alfonso Canovas Garcia et de ses proches présenté dans cet article n'est qu'un exemple parmi de nombreux autres dans ce livre.

A l'origine de l'émigration de la famille, il y a la nécessité de vivre décemment de son travail. Il s'agit donc du respect de la dignité de l'individu et de sa fonction.

On retrouve aussi le sens de la famille, de l'amitié, de la solidarité.

La famille Navarro a su se mobiliser lors de la Guerre d'Espagne et lors du second conflit mondial, présente dans l'armée Républicaine Espagnole, la Résistance Française, l'Armée Française et même l'Armée Anglaise avec Alfonso ! Ce sens exceptionnel de l'engagement contre l'oppresseur, certains de ses membres l'ont payé d'années de détention dans les camps de Vichy ou Allemands. D'autres sont morts dans les prisons franquistes...

Outre l'intérêt historique grâce aux précisions que l'on retrouve à travers les divers témoignages de la famille et des amis, cet ouvrage porte des valeurs fortes.

De l'avis général et il semble que je ne sois pas le premier à le dire, ce livre mériterait une diffusion beaucoup plus large.

                                                            JB

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